Seize ans après « Lucky Luke contre Phil Defer », un album de Lucky Luke est centré sur un personnage directement inspiré d’un acteur de cinéma américain. Après Jack Palance, c’est cette fois Lee Van Cleef, qui est ici représenté. Il incarne Elliot Belt, chasseur de prime de son état, ce dernier est une sorte d’anti-Lucky Luke au sens où comme lui, il pourchasse les criminels mais pas pour les mêmes raisons. L’un agit par idéal, l’autre n’est motivé que par l’appât du gain.
Cette figure ambiguë (ni tout à fait un truand, ni tout à fait un honnête homme) donne une dimension inédite et passionnante à cet album, assurément l’un des plus « adultes » de la série. Pour la première fois, un défenseur de la loi est vu comme un méchant comme si, sans abandonner les traits classiques de Lucky Luke, les auteurs faisaient un clin d’œil appuyé aux Western Spaghetti de Sergio Leone dont Lee Van Cleef était l’un des acteurs fétiches, et plus particulièrement « Pour quelques dollars de plus » (1965).
L’histoire est excellente car elle propose une intrigue policière crédible (qu’est devenu le cheval volé ?) doublée de plusieurs personnages forts tels que l’éleveur Bronco Forthworth, obsédé par les chevaux au point de leur ressembler dans ses attitudes (l’épisode surréaliste du sucre) et bien sûr l’indien Tea Spoon, accusé du larcin. Comme dans « Canyon Apache », les Indiens sont traités avec un réalisme désenchanté. On ne les voit plus comme des sauvages qui combattent la civilisation mais déjà comme des citoyens de seconde zone, victimes du racisme ordinaire et parqués dans des réserves, obligés pour survivre de vendre des « authentiques tapis de selle du général Custer. » Cerise sur le gâteau, la gent féminine est ici très bien traitée.
La réplique
« Susucre patron »
Caricatures
Lee Van Cleef (1925-1989).
Borris Karloff (Charles Edward Pratt ; 1887-1969).
Curiosité
Les indiens portent des noms anglais. Pourquoi ? Ils portent des masques étranges qui ressemblent au monstre de Frankenstein ou plutôt à l’acteur Boris Karloff. Ceci donne un style esthétique surprenant, proche de la Bande Dessinée fantastique.
L’absence de verre.
Préface de Marcel Gotlib (pour l’édition de 2009)
Morris, auteur de BD hors pair, a le chic pour signifier le mouvement sans la moindre ligne courbe, le moindre trait, la moindre convention habituelle du genre. Mais ce que je lui envie par-dessus tout, c’est son don pour la caricature.
Les albums de Lucky Luke sont parsemés de têtes connues : personnages importants ( David Niven dans « Calamity Jane », Wallace Beery, dans « La Diligence », Jack Palance dans « Phil de fer » et même Albert Uderzo dans « Le Pied tendre »). Ou silhouettes secondaires, tels Jean Gabin, Alfred Hitchcock et même René Goscinny en personne.
Mais mon préféré est Lee Van Cleef, plus vrai que nature dans « Chasseur de Primes , l’album qui me suffit pour considérer Morris comme l’un des plus grands de la BD et pour lui vouer une jalousie haineuse, moi qui suis incapable de faire une caricature ressemblante (longtemps j’ai souhaité représenter Isaac Newton avec le visage de Paul Newman).
Gotlib (Marcel Gottlieb, 1934-2016) était un dessinateur de bandes dessinées français très prolifique dans les années 1960-70.