Le personnage de Lucky Luke
Ses inspirateurs
Lucky Luke n’est pas une caricature. Mais de l’aveu de Morris, son personnage a été inspiré par plusieurs acteurs américains. Il y eut d’abord deux vedettes du cinéma muet, pionniers du western : Tom Mix, un acteur-réalisateur (1880-1940) et William S. Hart (William Surrey, 1862 – 1946). Aujourd’hui oubliés, ils avaient bercé l’enfance du jeune Maurice de Bévère.
Plus connu, Gary Cooper (Franck-James Cooper, 1901-1961) fut une grande vedette de l’âge d’or d’Hollywood aussi bien dans des westerns, des films de guerre que dans des comédies. Il a notamment joué dans « Pour qui sonne le glas » ou « Le train sifflera trois fois ». C’est à lui que Lucky Luke doit sa célèbre mèche et son allure dégingandée.
Il y eut aussi Gene Autry et Roy Rodgers, deux cow boys chantant des années trente-quarante qui ont influencé Morris pour la célèbre dernière case de ses albums
Ses Valeurs
Lucky Luke est incontestablement un défenseur de la morale judéo-chrétienne, de l’ordre et de la propriété (« Des barbelés sur la prairie »). S’il ne s’exprime jamais contre la peine de mort, il en réprouve une pratique trop expéditive y compris contre les Dalton. Pour lui, même le pire des criminels mérite un procès équitable, une élévation de pensée rarissime au Far West où les pendaisons constituaient un spectacle très couru. Sa générosité est également sans limite puisqu’on le voit s’impliquer dans beaucoup d’aventures sur un coup de cœur, histoire de défendre tel ou telle personne rencontrée par hasard et qui se sent menacée (« La Ville Fantôme », « Des barbelés sur la prairie », « Western Circus »). Lucky Luke ne sombre jamais dans le cynisme comme certaines circonstances pourraient l’y pousser. Nous pensons ici aux nombreux cas où il doit faire face à la couardise et à la veulerie de la population du Far West prompte à retourner sa veste et à voler au secours de la victoire. Lucky Luke ne se décourage jamais et n’abandonne pas ces poltrons à leur triste sort. En ça, il joue un rôle quasi-messianique. Lucky Luke accomplit bien sûr certaines missions pour gagner sa vie mais il serait faux de le taxer de cupidité. Il n’est pas un chasseur de primes comme le souligne l’album du même nom où on le voit refuser 5 000 dollars promis pour la capture d’un malfrat et les laisser aux victimes. On le voit même renoncer à un gisement d’or dans « La ville fantôme ».
Son époque
Lucky Luke vit dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, à la grande époque de la conquête de l’Ouest des Etats-Unis. Il participe à plusieurs événements historiquement datés tels que la conquête de l’Oklahoma (1889), la jonction ferroviaire de la côte Pacifique et de la côte Atlantique (1869), la période trouble qui suit la guerre de Sécession (1865), la découverte du pétrole aux Etats-Unis (1859) et l’arrestation des frères Dalton (1892). On le voit, Lucky Luke pêche par anachronisme puisque ses aventures se déroulent sur plus de trente ans alors qu’il ne semble pas vieillir physiquement. Si l’on se réfère à l’histoire de France, on se rend compte que Lucky Luke a vécu à l’époque du Second Empire, de la Commune de Paris, du scandale de Panama et de la construction de la Tour Eiffel. Il a été le contemporain de la reine Victoria, de Bismarck, de Victor Hugo, de Napoléon III, de Gambetta, de Maupassant et de Flaubert. Curiosité : Lucky Luke est contemporain d’un événement historique particulièrement mémorable : la guerre de sécession qui mit à feu et à sang les Etats-Unis entre 1861 et 1865. Pourtant, aucun album ne traite ouvertement de ce thème, (il y est fait allusion « Lucky Luke contre Joss Jamon » et de façon plus anecdotique dans « Des Barbelés sur la prairie », « Jesse James » et « Le Cavalier Blanc »). Même si les combats n’ont pas eu lieu dans le Far West, on peut s’étonner que Lucky Luke ne soit pas touché plus souvent par ce conflit très meurtrier.
Sa profession
De quoi vit Lucky Luke ? Il est fait allusion à des compétences dans la conduite des troupeaux (ce qui reste le métier de base de tout cow boy) dans « Sous le ciel de l’Ouest », « Le Cavalier Blanc » ou « Le juge », mais s’il a exercé cette profession au début de sa vie, il semble avoir rapidement bifurqué vers un emploi d’agent spécial du gouvernement. Il n’appartient à aucune administration officielle et n’obéit à aucune hiérarchie, mais on fait appel à lui pour effectuer certaines missions délicates. Il n’est pas rare de le voir aller à Washington, la capitale fédérale, pour recevoir des instructions de la part d’un haut fonctionnaire ou d’un parlementaire influent (« Les Collines noires ») et même du président de la Cour Suprême (« Les Dalton se rachètent »). La plus courante consiste à rattraper des malfaiteurs évadés tels que les Dalton ou mettre en prison des bandits qui terrorisent une région « Jesse James ». Parfois, il est chargé d’escorter des personnages importants, en visite dans le Far West (« Le grand duc », « Les Collines Noires »), ou des prisonniers très dangereux (« L’escorte »). On l’a même vu jouer un rôle d’inspecteur chargé censé comprendre le pourquoi d’une situation trouble et plus particulièrement dans le contexte des guerres indiennes (le XXe de cavalerie, « Canyon Apache ») Parfois, il est amené à assumer des fonctions officielles rendues vacantes par la lâcheté de certains notables. Ainsi, il a déjà été sherrif ( « Lucky Luke contre Pat Poker », « À l’ombre des derricks », « Sur la piste des Dalton », « Dalton city »). Lucky Luke travaille aussi pour le secteur privé. Il peut s’agir de grandes compagnies de transport dans le cadre de la construction d’une ligne de chemin de fer (« Des rails sur la prairie ») ou de télégraphe (« Le fil qui chante »). On le voit également escorter un convoi qui transporte la paye des ouvriers d’une mine (« Ma Dalton ») ou plus classiquement, un caravane de pionniers (« La Caravane »). Mais le summum des responsabilités endossées par le cow boy solitaire est décrite dans « Ruée vers l’Oklahoma » et « L’Héritage de Ran Tan Plan ». Dans le premier, il veille à la régularité et à la sécurité de la colonisation d’un état (« Ruée vers l’Oklahoma »), opération d’envergure s’il en est. Dans le second : on le voit assumer des fonctions de chef d’entreprise, et presque de maire, où plutôt de super-préfet de Viriginia City un ville où menace une guerre civile, un peu comme Bernard Kouchner au Kosovo.
Sa famille
Lucky Luke ne semble pas avoir de famille, il n’y fait en tout cas jamais allusion sauf en deux occasions où il parle de son grand-père (Rodéo, Phil Defer) mais sans entrer dans les détails. Son seul compagnon, c’est en fait Jolly Jumper, son cheval, un animal particulièrement rapide, résistant, et intelligent puisqu’il sait compter et même jouer aux échecs (« Western Circus », « Jesse James »). Il est un complice précieux, capable d’intervenir dans des moments clé pour titrer son maître d’un mauvais pas. Mais Jolly Jumper ne voue pas une admiration béate à son propriétaire. Il ne cache pas ses pensées (au lecteur en tout cas) et elle sont souvent ironiques et distanciées vis à vis du héros, un peu comme le fait Milou vis à vis de Tintin. En fait, Lucky Luke et Jolly Jumper ressemble à un vieux couple soudé par les années et les multiples aventures passées ensemble.
Sa vie
Incontestablement, Lucky Luke est un solitaire, un célibataire endurci, mais il n’est pas un misanthrope. Il a beaucoup d’amis qu’il retrouve au grès de ses aventures comme par exemple Hank Bully (« La diligence », « La fiancée… »), Tex Thompson (« Sur la piste des Dalton ») ou O’Hara (« Lucky Luke contre Phil Defer »). En revanche, Lucky Luke n’éprouve pas beaucoup d’intérêt pour la gent féminine. Ses rapports avec le beau sexe ne dépassent jamais le stade de la courtoisie. Il ne refuse pas une danse quand l’occasion se présente (« La ville fantôme ») mais ne va jamais plus loin. Pourtant, il ne laisse pas les dames indifférentes (« L’évasion des Dalton », « La fiancée de Lucky Luke ») car son physique n’est pas ingrat, loin de là.
Son domicile
Où habite Lucky Luke ? La plupart de ses aventures se déroulent au Texas. Mais à aucun moment, son adresse exacte n’est mentionnée de la même façon que son appartement ou sa maison ne sont jamais montrés. Pourtant, on le voit plusieurs fois stationner à Nothing Gulch, ( « Dalton City », « Jesse James », « Le Cavalier Blanc », « La guérison des Dalton ») une localité où il semble avoir ses habitudes puisque des messages lui parviennent à cet endroit. Mais il en reçoit aussi à Pleasant Gulch (« Le XXe de cavalerie »). On le voit également solidement installé dans la vie sociale de Dry Gulch dans « Le pied tendre ». Dans ces localités, il est toujours montré en train de se reposer à l’écart de la ville en pleine campagne, comme s’il était condamné à coucher à la belle étoile, ce qu’il fait volontiers dans beaucoup d’aventure (Evasion, Tortilla) même si on le voit aussi demander l’hospitalité chez l’habitant (« L’hospitalité de l’Ouest »). Très souvent, Lucky Luke est mis en scène comme un nomade, parcourant sans but précis les plaines du Far West comme si, par un penchant masochiste, il recherchait les rencontres impromptues, forcément sources d’embêtements. Pourtant, Lucky Luke semble avoir eu un foyer à un certain moment de son existence puisqu’il y fait référence dans la chanson qu’il entonne invariablement à la fin de chaque aventure : « I’am a poor lonesome cow boy, and a long way from home. » Que cache cette auto dépréciation ? Lucky Luke a-t-il été obligé de quitter sa famille et sa ville natale à la suite d’un gros problème, ce qui l’aurait poussé à émigrer au Texas ? Le professeur Otto Von Himbergeest ne se gêne pas pour lui faire toucher du doigt cette tendance « pathologique » à la soltitude.
La chanson : "I am a poor lonesome cow boy"
Lucky Luke a marqué des générations de lecteurs par sa fameuse chanson qu’il entonne dans la dernière case de ses aventures. « I am a poor lonsome cow boy ; and a long way from home …» alors qu’il s’éloigne sur son cheval vers le soleil couchant.
Cette chanson est apparue dans « Lucky Luke contre Cigarette Caesar », l’une des deux histoires qui constituent l’album « Arizona » sorti en 1951. Mais cette aventure fut dessinée dès 1949 par Morris. Pour retrouver la célèbre ballade, il fallut attendre « Des rails sur la prairie », premier album scénarisé par René Goscinny, sorti en 1957. La case de LL fredonnant « I am a poor lonesome cowboy… » s’est ensuite installée dans chaque album, à l’exception de « Alerte aux Pieds Bleus » et de « A l’ombre des Derricks ».
Cette chanson est sortie tout droit de l’imagination de Morris. En 2001, l’année de sa mort, il expliqua dans les colonnes du quotidien « Le Soir » qu’elle lui avait été inspirée dans les années 40, alors qu’il entendait sa logeuse de Bruxelles entonner : « Je suis seule ce soir », refrain célèbre de Leo Marjane, chanteuse française. Il l’aurait adapté à sa façon à l’univers de Lucky Luke. On peut se poser des questions, dans la mesure où le retour et l’installation de la chanson correspond à l’arrivée de René Goscinny au scénario. On ne la retrouve pas dans « Alerte aux Pieds-Bleus », album suivant écrit par Morris seul car Goscinny était en voyage aux Etats-Unis. On la retrouve en revanche dans l’album qui suit : « LL contre Joss Jamon » avec le retour du scénariste prolifique. Si Morris a bien inventé la célèbre chanson, il n’a pas su ou voulu en faire un Gimmick, ou un rendez-vous de lecture. On peut imaginer René Goscinny se saisissant avec gourmandise de la case de « LL contre Cigarette Caesar » pour en faire une sorte de signature de la série.
A noter que dans « Des Rails sur la prairie », Lucky Luke et Jolly Jumper se déplaçaient de la droite vers la gauche. Puis à partir de « Lucky Luke contre Joss Jamon », Morris les dessina dans le sens de la lecture, de la gauche vers la droite.
Cette chanson fut enfin enregistrée en 1971 pour le dessin animé long métrage « Daisy Town », composée par Claude Bolling, musicien de jazz français bien connu, elle fut interprétée par Pat Woods, chanteur de blues américain.