Les auteurs

Morris, ici en 1952, a vécu sept ans aux Etats-Unis pour se documenter. Il est l’un des rares dessinateurs a ne s’être consacré qu’à une seule série, succès oblige.

Le dessinateur : Morris (1923 – 2001)

Maurice De Bévère,  dit Morris,est né le 1er décembre 1923 à Courtrai en Belgique. Il est mort en juillet 2001 des suites d’une chute.

Avant de créer Lucky Luke en 1946 dans les colonnes de Spirou, il travaille chez CBA, un studio de dessins animés bruxellois. Il y rencontre André Franquin (le futur créateur de Gaston Lagaffe) et Pierre Culliford (dit Peyo) futur père des Schtroumpfs. Morris séjourne durant sept ans aux Etats-Unis entre 48 et 55, de quoi acquérir une solide documentation sur l’Histoire de ce pays et sur les figures marquantes de la conquête de l’Ouest. Il entreprend ce voyage initiatique en compagnie de deux autres dessinateurs belges : Joseph Gillain, dit Gijé (1912-1980) que Morris désignera comme son maître et André Franquin (1923-1997).

Morris dans les années 80. Il était considéré comme l’un des dessinateurs phare de l’école franco-belge.

Les premiers albums de Lucky Luke ont donc été réalisés directement aux Etats-Unis et expédiés par la poste à la maison Dupuis. A New York, Morris se marie et fait la connaissance d’un Français nommé René Goscinny, qui deviendra son scénariste attitré pendant plus de vingt ans.

Morris est l’un des rares dessinateurs qui ne se soient consacrés qu’à une seule et unique série, le succès rencontré très tôt ne lui a sûrement jamais donné l’idée de chercher une autre source d’inspiration que le Far West. Une tentative dans les années 50 : « Du raisiné sur les bafouilles » restera sans lendemain. A son retour, Morris s’installe à Bruxelles d’où il bougera très peu. Il recevait les scenarios de Goscinny par la poste et les dessinait tranquillement chez lui avant de les réexpédier à son éditeur.

Le dessin de Morris a évidemment évolué avec le temps, ce qui est très frappant à travers le changement du personnage de Lucky Luke lui-même.  Sa silhouette et son visage se sont peu à peu affinés à mesure que l’auteur approchait de la maturité.  On peut essayer de trouver un “âge d’or” graphique. Il irait  grosso modo de “La Ville fantôme” (1964) à la mort de Goscinny. Comme par un fait exprès, le trait s’affadit à parti des années 80.

A quoi tient donc son talent ? A la clarté de son dessin et à son sens de la synthèse. Son trait, ses décors et ses effets sont d’une rare efficacité. Il n’hésitait pas à recourir au minimalisme, notamment en matière de décor. Morris a surtout  été très novateur en matière de couleurs. Il savait  bousculer les codes classiques en dessinant des personnages sur fond blanc, en variant les couleurs du ciel et en proposant des planches entières en bichromie, noir et rouge, pour figurer un incendie, par exemple. Morris  se fit une spécialité du « parti pris chromatique »  en dessinant des personnages d’une même couleur, y compris Lucky Luke au premier plan ou à l’ arrière-plan d’une case.  

Pourtant,  Morris livrait ses planches en noir et blanc. Elles étaient coloriées par le personnel de ses éditeurs  selon ses indications laissées souvent au dos des planches, mais les techniciens (les chromistes) ne les suivaient pas forcément.  Cette distorsion ne fut pas sans effet, justement, sur la colorisation de Lucky Luke, Morris préférant avoir recours à la monochromie pour simplifier les choses.  Il sut même en faire une arme et une signature, une façon de guider l’oeil du lecteur. Il avait découvert cette technique aux Etats-Unis auprès des gens de Mad et d’Harvey Kutzman. Citons par exemple les  personnages en rouge pour figurer la colère, les gens en bleu au premier plan pour fixer le regard du lecteur au loin. On vit même un dégradé d’orange et de jaune très réussi dans « Ma Dalton ». Chez Morris l’agencement des couleurs est une signature en soi, revoir la fameuse case du feu de camp dans « L’Evasion des Dalton ».


Cliquez ici pour découvrir une étude du style graphique de Morris.

Lire à ce sujet l’excellent site : « Neuvième art » et les articles « Lucky Luke ou la conquête de la couleur ».

René Goscinny n’a pas créé Lucky Luke mais lui a donné une dimension supérieure.

Le scénariste : René Goscinny (1926 – 1977)

René Goscinny est né en 1926 à Paris dans une famille d’origine juive ukrainienne. Il passe son enfance en Argentine où son père a trouvé un poste d’ingénieur. Après la guerre, il vit à New York où il fait ses premiers pas dans la bande dessinée mais il a beaucoup de mal à trouver un éditeur.

Après une longue période de galère, il rencontre un trio de dessinateurs belges exilés : Gijé, Franquin et Morris, puis il fait la connaissance des auteurs de la revue « Mad » : Jim Davis, Harvey Kutzman, qui auront beaucoup d’influence sur son humour. Il est aussi présenté à Georges Troisfontaines, un Belge qui vient de lancer la World Press, une agence qui tente de placer des séries dans des journaux européens. Le ciel s’éclaircit pour Goscinny qui comprend qu’il n’a pas l’étoffe d’un grand dessinateur mais qu’il est un raconteur d’histoires hors du commun. Il devient alors exclusivement scénariste. En 1950, il revient en Europe où il convainc Troisfontaines de l’embaucher. Puis Morris lui propose de scénariser les exploits de son Lucky Luke.

Goscinny, caricaturé par Morris

Goscinny s’installe à Paris et démarre une carrière extraordinaire. Il participe ou crée un grand nombre de séries dont la plupart sont devenues des classiques. De son cerveau fertile sont nés Astérix, Iznogoud , le Petit Nicolas ou les Dingodossiers. Il est également le rédacteur en chef de l’hebdomadaire « Pilote », créé en 1959, qui fait sortir la bande dessinée du ghetto des publications pour la jeunesse. Sous son autorité débutent une floppée de jeunes auteurs qui connaîtront le succès à leur tour.  Son activité ne se limite pas à la Bande Dessinée. Il travaille aussi pour le cinéma et pour la télévision.

René Goscinny est décédé à l’âge de 51 ans, en 1977, d’une crise cardiaque. Il est aujourd’hui reconnu comme un créateur génial à l’égal d’un Hergé ou d’un Hugo Pratt qui ont laissé une trace indélébile dans l’histoire de la B.D. européenne.

Il reste une référence absolue pour tous les amateurs du «neuvième art ». Même plus de quarante ans  après sa mort, son sens du rythme et de la parodie, ainsi que son imagination débordante n’ont pas pris une ride. Il est resté longtemps l’auteur français le plus lu au monde. 

René Goscinny et Morris au début des années 70. Astérix et Lucky Luke sont devenus des phénomènes d’édition.

Les relations entre les deux hommes

Quelles étaient les relations entre Morris et René Goscinny ? Elles étaient très bonnes évidemment au début de leur collaboration . Mais elles se sont semble-t-il dégradées à partir des années 70 alors que la série avait atteint son rythme de croisière. Les deux hommes ne se voyaient plus très souvent, car René Goscinny habitait à Paris et Morris, à Bruxelles. Le premier envoyait les histoires par la poste au second. Entre les deux hommes subsistait une ambiguïté. Qui était vraiment le père de la série ? Celui qui avait inventé le personnage de Lucky Luke ou celui qui, par la qualité de ses scénarios lui avait donné une nouvelle dimension ? 

Depuis le début de leur collaboration, le statut de René Goscinny avait changé. Il était devenu le créateur d’Astérix, une vraie vedette du monde de la bande dessinée et même de l’édition en France. Mais il semble que Morris se soit toujours senti comme le propriétaire des aventures de Lucky Luke. Dans les divers entretiens qu’il accorda dans sa vie, il a  assez peu cité son scénariste, sauf dans les dernières années de sa vie. Interrogé par un passionné qui envisage d’établir une encyclopédie de la BD dans les années 1970, il corrige fortement la notice proposée à son nom, en soulignant qu’il est l’unique créateur de Lucky Luke. Et surtout, biffe une phrase élogieuse envers Goscinny. On sait aussi que Morris avait toujours gardé une rémunération deux tiers un tiers en sa faveur  pour redistribuer les droits d’auteur. On sait que Goscinny trouvait que ce n’était pas très équitable. Il touchait cinquante pour cent sur ses autres séries (une lettre de 1967 en atteste).

En 1971 , par exemple, Goscinny n’avait pas apprécié que le dessinateur s’occupe seul d’un contrat avec un éditeur allemand.

Les relations entre les deux hommes furent à nouveau mises à mal à l’occasion du conflit avec les éditions Dargaud, quand Morris dessina l’album « Le Fil qui chante » en douce, contre l’avis de Goscinny qui voulait faire grève pour obtenir de meilleurs droits et contrôler les revenus des filiales étrangères que Georges Dargaud utilisaient comme des coffres-forts. Albert Uderzo, dessinateur d’Astérix avait soutenu son scénariste. Il y eut donc  clairement une fracture entre René Goscinny et Morris. Auraient-ils continué à travailler ensemble si Goscinny avait vécu ?

Le cas Louis de Bèvère

On a longtemps cru que Morris avait écrit seul tous les  les scénarios des Lucky Luke avant l’arrivée de René Goscinny. Mais Clément Lemoine, un universitaire, a fait des recherches dans les années 2010.

Il apparait que plusieurs histoires ont été écrites par Louis De Bévère, frère aîné de Morris, professeur de français dans le civil, même s’il ne signait pas. Des documents prouvent que Morris a rétribué son frère pour ses précieux concours : notamment pour « La Mine d’Or de Dick Digger » , « l’Elixir du Docteur Doxey », et « Alerte aux Pieds Bleus ».

Louis De Bévère a même trouvé le nom de Lucky Luke. Morris l’a explicitement déclaré dans une émission de radio en 1997.