Des barbelés sur la prairie – 1967

Prépublication dans « Spirou » (1411-1432) d’avril à septembre 1965

Lucky Luke retrouve sa vocation de Robin des Bois. Il s’attaque à un problème de société, à savoir la concurrence entre les gros éleveurs et les petits fermiers qui cohabitent dans les plaines de l’Ouest. Lucky Luke va défendre Vernon Phelps et de son épouse terrorisés par l’autoritaire Sam Casey, potentat local qui refuse de les voir s’établir sur les terres ou paissent ses troupeaux de bovins. Cet album est remarquable car il traite d’un thème américain par excellence : la propriété et plus généralement, l’état de droit par opposition à la loi de la jungle. Remarquons que Lucky Luke ne fait pas preuve de sectarisme, fidèle à ses principes, il se range du côté des plus faibles, alors que sa formation de cow boy aurait pu le pousser à soutenir le lobby de la viande rouge. La scène ou Lucky Luke intervient pour secourir Phelps pris au collet par Casey est un moment d’anthologie.
Le symbole du fil de fer barbelé est tout à fait ambigu. Communément vu comme incarnation de l’injustice et de la privation de liberté, il est au contraire utilisé comme une arme d’émancipation par les petits fermiers en lutte pour que leurs droits soient respectés. La case où ils s’exclament « on est libres » alors qu’ils sont cernés par les clôtures est un vrai morceau de bravoure évocateur du communautarisme à l’américaine. Le personnage de Lucky Luke apparâit aussi très investi dans le déroulement de l’intrigue, ce qui n’est pas le cas dans tous les albums. 
La couverture est tout à fait réussie. L’à-plat gris est du plus bel effet, un concentré du style de Morris qui ne s’embarrasse pas de détails inutiles. Son sens de la synthèse est frappant.

Le thème de l’album est peut-être lui aussi inspiré du film « L’Homme des vallées perdues » (« Shane ») de George Stevens (1953) avec Alan Ladd dans le rôle principal. On y traite ce problème de la rivalité éleveurs-cultivateurs. Le film servit de référence à Morris pour « Lucky Luke et Phil Defer » sortit neuf ans auparavant mais uniquement pour le personnage du tueur à gages, caricature du rôle interprété par Jack Palance.

Référence On peut aussi penser que René Goscinny s’est inspiré du film « Les Ranchers du Wyoming » (« Cattle King ») sorti en 1963. Un film de Tay Garnett avec Robert Taylor et Robert Middelton dans un rôle de méchant qui fait penser à Cass Casey.

Cet album est à ranger dans les perles de la série. Il est le premier à traiter un sujet « grave », pour ainsi dire, politique.  Dans le site ‘Sens Critique », un internaute surnommé Volubilis livre une  analyse passionnante dont voici quelques extraits :  :  » Globalement les albums de Lucky Luke vieillissent très bien : la BD du XXIème siècle ne créée plus de grande saga aussi constante, dans relativement peu de cas les auteurs ont su développer des aventures denses et drôles et … intemporelles. Des barbelés sur la prairie entre parfaitement dans ce schéma, et fait même encore plus de sens en 2020 qu’en 1967, date de sa parution. …Et de manière sous-jacente il est question de la viande comme totem intouchable et essentiel de l’alimentation et de son opposition aux produits de la terre. En bref, des débats très actuels.…. Et le moins que l’on puisse dire est que ce scénario est très bien ficelé avec une montée en tension crescendo. En somme, un Les Rivaux de Painful Gulch (pour son caractère dual/d’opposition) avec beaucoup moins de gags mais certainement plus de profondeur. » (Lire l’intégralité de la critique dans le site « sens critique »). 

Le gag

Le bouquet de fleur qui pèse trop lourd.

La réplique

« C’est quoi le thé. »