En remontant le Mississippi – 1961

Prépublication dans « Spirou » (1111 à 1132) de juillet à décembre  1959

Pour la première fois, Lucky Luke quitte son territoire de prédilection, le Far West, pour un territoire voisin, le Middle West et plus précisément le Mississippi, le plus long et le plus puissant des fleuves américains. Les auteurs ont manifestement succombé au charme des fameux bateaux à fond plat et à roue à aubes, tout droit sortis des romans de Mark Twain .
Lucky Luke se retrouve en position d’arbitre d’une lutte entre les capitaines Barrows et Lowriver engagés dans une course. Cet album vaut par son exotisme, qui change le lecteur des paysages habituels du western. On y découvre des animaux nouveaux, les alligators, et un ennemi inédit, le Mississippi lui même avec notamment ses crues dévastatrices.
Un personnage secondaire crève l’écran, Ned le pilote du bateau, vieux briscard vantard et menteur. A noter aussi la présence de personnages afro-américains, employés dans un rôle stéréotypé et  peu flatteur, portefaix ou assistants, mais sans doute conforme à la réalité historique  de l’époque, marquée par l’esclavage et la ségrégation.   

Morris montre dans cet album, tout son savoir-faire de dessinateur. Les bateaux et leurs intérieurs y sont particulièrement bien croqués. 

Cet album semble inspiré du récit de Mark Twain : « La vie sur le Mississipi » (« Life on the Mississippi », 1883) comme l’a remarqué Mathieu Lindon dans « Libération » en avril 2015, même si l’écrivain américain n’apparaît pas dans l’album. Il sera dessiné plus tard dans « L’Héritage de Ran Tan Plan ».
L’intervention de Tetenfer Wilson, cette brute épaisse n’est pas sans rappeler un personnage d’ « Ultime Razzia », un des premiers films de Stanley Kubrick.
René Gosciny a déclaré qu’il était inspiré d’un personnage historique. Il semblerait qu’il se soit inspiré d’un fait réel, la course en 1870 qui opposa deux bateaux , le Robert E Lee du capitaine Cannon  et le Natchez V du capitaine Leathers. Ce fut effectivement une  compétition acharnée et  très médiatisée, avec des sabotages et des péripéties en tous genres. Elle fut l’objet d’énormes paris et une arrivée triomphale à Minneapolis.  Le capitaine Lowriver, le méchant de l’histoire, ressemble physiquement au grand vizir Iznogoud, un personnage qui sortira peut de temps après de l’imagination de Goscinny pour une autre série.

Curiosité

Cet album a eu du mal à sortir en Scandinavie. L’éditeur de ces pays trouvait que les noirs y étaient décrits de façon trop caricaturale.

Caricatures

Lee Marvin, acteur américain (1924-1987). Burl Ives, acteur américain (1909-1995). 

On peut imaginer que le joueur de cartes professionnel est inspiré de Georges Devol (1841-1903) , qui passait sa vie à jouer au poker sur les bateaux.

La réplique

« Un peu de café, patron ? »

Extrait d’un article de « Libération » du 15 avril 2015

« À part chez les spécialistes, la Vie sur le Mississippi est surtout connu en France par l’aventure de Lucky Luke « En remontant le Mississipi », adaptation très libre que Morris et Goscinny ont faite d’un texte qui est lui-même une adaptation très libre de la carrière d’apprenti pilote de Mark Twain. L’auteur a écrit dans son Autobiographie : « Une autobiographie est toujours deux choses : c’est un mensonge absolu et c’est une vérité absolue. L’auteur fournit le mensonge et le lecteur fournit le reste – c’est-à-dire qu’il rétablit la vérité par instinct. »

Le pilote du Daisy Belle à Lucky Luke : « Le Mississipi est drôlement capricieux… Je l’ai vu une fois monter et descendre de niveau si rapidement que les poissons sont restés un moment en l’air avant de retomber se fracasser le crâne sur le lit desséché du fleuve ! » Chez Mark Twain, le fleuve « est remarquable par sa disposition à faire des bonds prodigieux en coupant à travers d’étroites bandes de terre ». « Par exemple : un homme vit aujourd’hui dans l’Etat du Mississippi ; un raccourci se forme pendant la nuit, et le lendemain l’homme se retrouve avec son terrain de l’autre côté du fleuve, dans les frontières de l’Etat de Louisiane, et assujetti à ses lois ! »

Mathieu Lindon