La fiancée de Lucky Luke - 1985

Prépublication dans Spirou et dans l’Illustré en 1985

Cela devait finir par arriver. Morris et son scénariste Guy Vidal décident de mettre en scène Lucky Luke directement aux prises avec la gent féminine puisqu’il escorte un convoi de jeunes femmes en voyage vers le Far West pour trouver un mari. On peut évidemment regretter que René Goscinny n’ait pas traité ce thème croustillant. Mais cet album ne fait pas honte à ceux de la période dorée, au contraire. Il est plutôt bien construit avec une action qui commence sous forme de voyage, comme dans « La Caravane » ou « Le fil qui chante » avant de se stabiliser dans une unité de lieu. On pourra regretter quelques gags ou coups de théâtre un peu faciles (la tornade par exemple) que René Goscinny ne se serait pas autorisés. D’une façon générale, les scénaristes qui ont succédé au grand scénariste auront tendance à glisser vers le recours à l’humour absurde comme pour avouer en creux leurs limites.

La misogynie et le sexisme sont omniprésents dans cet album où les femmes ne sont pas affranchies des caricatures classiques de la bande dessinée. Les réflexions de Jolly Jumper et de Lucky Luke lui-même qui rythment l’histoire vont clairement dans ce sens. On est proche d’un certain humour franchouillard, à la Pierre Doris qui se moque des femmes à travers une certaine image du couple, décrit gentiment comme une prison pour les hommes.

La progression de l’intrigue est fluide avec de bons enchaînements et des situations réussies. Les auteurs n’hésitent pas à mettre en scène un personnage français, Toussaint Charbonneau, clairement désigné comme homosexuel, thème complètement nouveau dans la série. Mais le trait est à notre avis un peu forcé, éloigné pour le coup du style de Goscinny. Tout comme la réflexion d’une pionnière qui traite LL d’« obsédé » à la suite d’une méprise. Moment proche de la vulgarité qui ne tire pas cet album vers le haut.

A la fin, Lucky Luke se retrouve au cœur de l’intrigue, ce qui est finalement assez rare. L’intérêt fonctionne sur un suspense. LL nouera-t-il enfin pour la première fois de sa vie publique une relation amoureuse avec une femme, jetant aux orties son goût de la solitude habituelle ? On pourra d’ailleurs regretter le titre conçu pour appâter le chaland… Mais on ne veut pas divulgâcher.

Globalement, l’histoire reste dans des standards corrects, même si on sent bien que les auteurs sont démangés par la tentation de convoquer des personnages du passé. LL retrouve ainsi Hank Bully, le cocher de « La Diligence », à qui Wallace Beery prête ses traits. Puis on retrouve les Dalton, convoqués pour un rôle très secondaire. Même plutôt réussie, leur scène laisse perplexe : les quatre frères semblent devenus un ingrédient commercial indispensable, même sous-employés, alors que René Goscinny savait les laisser de côté quand l’action ne tournait pas autour d’eux.

Sur un plan graphique, on ne peut pas ne pas remarquer que le dessin de Morris commence à perdre de sa vigueur, si tant est que ce soit lui qui ait vraiment dessiné cet album.


Toussaint Charbonneau fait référence à un personnage historique. Il s’agissait d’un « coureur des bois », un marchand de fourrure français québécois mentionné notamment par les explorateurs Lewis et Clarke. Né en 1767 et mort en 1843. Il fut marié à plusieurs amérindiennes et servit d’interprète à plusieurs expéditions. Il n’avait évidemment rien de commun avec le personnage de l’album.

Guy Vidal (1939-2002) avait succédé à René Goscinny au poste de rédacteur en chef de « Pilote » devenu mensuel. Il le restera jusqu’en 1982. Il a travaillé toute son existence dans le monde de l’édition de la bande dessinée.

L’album semble inspiré du film « Convoi de femme », (« Westward the women ») de William Wellman avec Robrt Taylor (1951).