Le Pied-Tendre – 1969

Prépublication dans « Spirou » (1537 à 1556) entre septembre  1967 et février 68

Comme pour Calamity Jane, Lucky Luke n’est pas l’ennemi du personnage phare mais au contraire son soutien face à un environnement hostile car cet album traite de l’ostracisme et des brimades dont étaient victimes les immigrés de la part des habitants du Far West, issus souvent eux mêmes de l’immigration une génération auparavant.
Cet album est très réussi d’abord par son attaque. Les auteurs choisissent de mettre en scène un personnage qu’on ne voit jamais, le vieux Bady, et pour cause, puisqu’il vient de mourir, mais toute l’histoire est sous-tendue par son testament. La modernité du récit est une des forces de cette histoire qui symbolise la maturité de la série. Nous sommes au cœur de son âge d’or. 

L’album fonctionne sur le contraste entre les rudes mœurs de l’Ouest et les manières raffinées de Waldo Badmington, l’aristocrate anglais qui a hérité de la propriété du décédé. Il incarne tous les poncifs accolés aux élites de l’Angleterre victorienne.
Il est flegmatique, respectueux des bonnes manières mais aussi très courageux et … sportif. La trouvaille des auteurs consiste aussi à flanquer Waldo Badmington d’un valet, comme dans le théâtre de Molière. Il s’agit de Jasper, tout aussi attaché aux bonnes manières que son maître.
Cet album est très poignant notamment lorsqu’il met en scène le procès, évidemment truqué, auxquels Lucky Luke et son ami sont confrontés. A noter que la chute de l’album est assez amère, triste. Jamais on a été aussi content de voir Lucky Luke s’éclipser en douce.

Référence L’histoire s’inspire du film « L’extravagant M. Ruggles » (« M. Ruggles of Red Gap ») de Leo Mc Carey (1934) avec Charles Laughton.

Lu sur un forum du site « Babélio » 

« J’aime beaucoup cet épisode des aventures de Lucky Luke, ce n’est peut-être pas le plus aventureux, le plus drôle, mais il évoque une thématique grave avec humour et dérision : l’acceptation de l’étranger, de l’émigrant. Waldo, lord britannique très guindé, hérite d’un ranch au pays des cowboys. La réussite de cet opus tient beaucoup de ses rôles secondaires, Waldo est formidable, mais le duo entre Jasper le majordome et Sam l’indien est encore plus savoureux, donnant une vision pétillante et délirante du choc des cultures. » (Pseudo : jamiK)

 

La réplique

« Seulement, s’il en vaut la peine. »

Caricature

Albert Uderzo, le dessinateur d’Asterix est persuadé que Waldo Badmington est une caricature de lui même. Morris a toujours démenti.

Curiosité

Comme « La Diligence », cette histoire a été prépubliée dans Spirou avant de sortir en album chez Dargaud. Charles Dupuis avait oublié de la protéger par contrat.

En 1971, pour les 25 ans de Lucky Luke, Jean Giraud, dessinateur, entre autres, de Blueberry dessina une version personnelle d’une planche du « Pied Tendre ». Son style était évidemment plus réaliste que celui de Morris. 

Préface d’Anne Gavalda (écrivain) dans l’édition de 2009

Il a un côté un peu cyborg notre Lucky. Un côté : « J’arrive, je canarde, et je me casse ». C’est  euuh… Un peu court, jeune homme…

Et l’âme sous le chapeau, alors ? Et le coeur derrière le gilet ?

Voilà pourquoi j’aime bien de Pied Tendre. Parce que, à la sixième case de la septième planche, l’infaillible, le stoïque, le souverain Lucky déchire son papier à cigarette en tentant d’en rouler une. Il est ému.

Anna Gavalda (née en 1970)  est une écrivaine française. Grand Prix de la Nouvelle de l’Académie Française.