Ma Dalton – 1971

Année de publication : Prépublication dans « Pilote » (595 à 616) d’avril à août  1971

Pour la deuxième fois, une femme donne son nom à un album. Après Calamity Jane, la virago, après Lulu Carabine et ses danseuses de Saloon, apparaît un nouveau stéréotype féminin, la maman castratrice, car les auteurs brisent ici un des grands tabous de la BD enfantine.

Celle-ci a toujours aimé présenter les héros récurrents vierges de toute attache familiale. Ils décident tout simplement de montrer la mère des Dalton, Ma, déjà évoquée dans « L’Evasion des Dalton ». Une idée aussi simple que géniale qui génère un des scenarii les plus burlesques de la série, basé essentiellement sur le comique de situation. Ma Dalton vit seule avec son chat et baigne dans une certaine ambiguïté, elle mène une vie honnête mais elle ne désapprouve pas la conduite de ses fils. Elle semble même la soutenir comme si la truanderie était inscrite dans les gênes de la famille.

Les retrouvailles entre les bandits et leur maman qui a conservé toute son autorité ne manque pas de sel. Au lieu d’être quatre, les Dalton se retrouvent cinq avec en prime, un complet renversement des rôles dans la fratrie. En effet, Ma a pour chouchou Averell, qui se trouve ainsi en position de force par rapport à ses frères, et notamment Joe à qui Ma ne fait aucun cadeau.

On apprend au passage que c’est Joe qui est l’aîné des Dalton et Averell le benjamin. L’album vaut aussi par l’utilisation extraordinaire du personnage de Ran Tan Plan qui atteint là une sorte de sommet dans la stupidité.

L’album est considéré comme l’un des chef d’oeuvre de la série, par le burlesque des situations et par la progression dramatique qui débouche sur une scène finale homérique et pleine de tension. Les idées de Goscinny et leur réalisation par Morris se complètent à la perfection.

Les auteurs inventent un cinquième Dalton, la propre mère des quatre frères.

Le gag

L’eau et le savon.

La réplique

Couché !

Un internaute nous écrit :

La grande image en haut de la planche 43 est composée de manière hallucinante : Lucky Luke en plan américain à l’avant-plan, presque placé en amorce, se retourne car il est provoqué en duel par la mère Dalton située au quatrième plan (« Lucky Luke ! Nous allons nous battre en duel ! »), toute petite au milieu de la grand-rue, décalée juste ce qu’il faut par rapport au point de fuite de tous les éléments de l’image (les maisons et leurs porches, les épaules de Lucky Luke). Cet effet de perspective, référence cinématographique évidente qui magnifie Ma Dalton, est encore renforcé par l’échelonnement des banderoles, de la plus rapprochée à la plus éloignée, au-dessus des personnages. Cette composition assure à elle seule une forte tension dramatique, d’autant plus que les banderoles, soulignant la perspective, descendent dans l’image et masquent presque entièrement le bleu du ciel (je me demande si un ciel rouge n’aurait pas été encore plus percutant). La disposition en « étages » rend leur lisibilité parfaite, et c’est là qu’est le gag : car le texte des banderoles contraste radicalement avec la brusque montée de tension dramatique : « Rien n’est plus doux qu’une maman », « Fête des mères », « À nos tendres mères »… C’est comme si tout l’album avait été pensé en fonction de cette image sidérante.

Jean-Michel Bohrer

Préface de Francine De Bevere pour l’édition 2009 :

Ma Dalton Ma Dalton reste mon album préféré. Ma Dalton est une femme attachante qui fait preuve d’une tendresse inhabituelle dans ce milieu de cow boy fortement masculin. Mais cette vieille dame très vaillante ne serait tout simplement pas la même sans son chat, Sweetie. En le créant, Morris a comblé un vide. De nombreux lecteurs s’étonnaient de ne jamais voir de félin dans les albums de Lucky Luke alors que Ran Tan Plan, le chien le plus stupide de l’Ouest était toujours à l’honneur… Comme nous avons eu plusieurs chats à la maison. Morris connaissait à fond leur psychologie et leurs attitudes. Le graphisme de Sweetie est élancé et gracieux. Son animosité contre Ran Tan Plan et leur éternelles bagarres ont engendré des situations cocasses, très visuelles. Et la tendre complicité qui l’unit à Ma Dalton est vraiment touchante. De manière générale, on trouve peu de chats dans les histoires situées dans l’Ouest américain, d’où cette petite touche supplémentaire d’originalité. Certains passages de l’album m’ont beaucoup marquée : la galanterie de Lucky Luke à l’égard d’une personne âgée qui traverse la rue : les soins attentifs d’une vieille maman envers ses fils alors qu’elle manie le colt à la perfection. Et s’adonne au braquage : la finesse du dessinateur qui a écrit le mot « fin » au point de croix dans l’ouvrage à aiguille de Ma Dalton … Malgré sa rudesse et sa personnalité pleine de contradictions, Ma Dalton reste un personnage très féminin. Par son originalité, la poésie de son dessin, sa fraîcheur et ses gags, Ma Dalton reste à mes yeux l’album phare des aventures de Lucky Luke.

Francine De Bevere est l’épouse de Morris